Du gaucho à Dingo … Le peintre de la pampa
Par Edouard Seghur
L’illustrateur, peintre et caricaturiste natif de Buenos Aires (1891-1959) est resté célèbre pour ses représentations traditionnelles – voire folkloriques – des gauchos de la pampa argentine. Retour sur l’œuvre, tour à tour naïve, humoristique et tendre d’un artiste très populaire dans son pays, et dont le talent aura séduit… jusqu’aux studios Disney.
Il est de ces artistes peintres dont on reconnaît, comme on dit, immédiatement la « patte ». Il y a ces rastreador, boleador, domador et autres gauchos à la trogne truculente, la moustache généreuse et souriante, seuls dans la plaine désolée, ou jouant de la guitare autour d’un chaleureux feu de camp au bord du río de la Plata. Et puis, il y a ces innombrables chevaux fougueux représentés de manière très expressives qui galopent, bondissent, se cambrent, dès lors qu’on cherche à les dompter.
Plus de soixante ans après sa mort, Florencio Molina Campos apparaît comme le chantre majeur de la vie traditionnelle des emblématiques gauchos. L’artiste est pourtant né bien loin des prairies balayées par les vents de la pampa, mais au cœur de Buenos Aires, un 21 août 1891, dans une famille relativement aisée issue de la colonisation espagnole – elle compte plusieurs illustres personnages de l’histoire nationale, parmi lesquels les généraux Luis Maria Campos et Gaspar Campos.
Gamin, le jeune argentin s’échappe de la capitale pour rejoindre les résidences de campagne familiales, à Tuyú, province de Buenos Aires, puis Chajarí, province de Entre Rios. Là, en fin observateur, il scrute, fasciné, le mode de vie des « cow-boys latinos ». Après la mort de son père, en 1907, celui qui avait suivi des études d’architecture et de diplomatie plonge dans la nostalgie et commence à dessiner ses premiers croquis, s’inspirant des paysages et des hommes qui ont marqué ses souvenirs d’enfant. Ses œuvres ? Des scènes pittoresques de la pampa dans la lignée de son héritier lointain Prilidiano Pueyrredón (1823-1873), l’un des premiers artistes à explorer la figure gaucho à travers une œuvre picturale – toutefois plus académique. Car les scènes de Florencio Molina Campos sont tout à la fois expressives, naïves, tendrement drôles, voire… quasi cartoonesques pour leur époque !
Un coup de pouce du président Marcelo T. de Alvear
Il faudra attendre l’année 1926 pour que Molina Campos rencontre le succès. Cette année-là, sur l’insistance de ses proches, il expose à la Sociedad Rural Argentina, à Buenos Aires. Coup de chance : l’exposition est visitée en personne par le président Marcelo T. de Alvear, qui tombe sous le charme des tableaux. Le chef de l’Etat le nomme professeur d’art du Colegio Nacional Nicolás Avellaneda.
Il faut dire que, dans les années 1920, on revisite le folklore national. L’époque est à glorification des « nobles, libres et fiers gauchos ». L’œuvre de Molina Campos doit d’ailleurs être mise en parallèle avec celle de son contemporain écrivain Ricardo Güiraldes, qui, dans son célébrissime roman Don Segundo Sombra, paru en 1926, brosse aussi le portrait d’un gaucho. Tous deux, chacun à sa manière, s’inscrivent dans le gauchesco, un mouvement qui tranche avec l’art argentin du XIXe siècle alors autocentré – dans le style comme dans les sujets abordés – sur le Vieux Continent.
Quand il s’invite dans tous les foyers argentins…
Mais Molina Campos acquiert, lui, un statut tout particulier. Après avoir signé des dessins pour le quotidien La Razón, il devient célèbre à travers toute l’Argentine en illustrant, au début des années 1930, les très populaires almanachs Alpargatas. Ses images champêtres remportent un tel succès dans les foyers, toutes classes confondues, que la fabrique d’espadrilles qui édite les calendriers l’engage durant plusieurs décennies. « Ce qui est formidable c’est que l’artiste a vu le gaucho comme le gaucho se voyait lui-même, avec le même esprit moqueur et affectueux », * résumait l’écrivain Cayetano Córdova Iturburu.
Des gauchos à Dingo : un artiste courtisé par…. Walt Disney !
« Star » de l’illustration, Molina Campos expose, en tant que représentant culturel de d’Argentine, à Paris en 1931, ou encore à New York – un voyage qui donnera lieu à la série « Andanzas de un gaucho en Nueva York » publiée dans la revue américaine Liberty. Lors d’un long séjour en Amérique Latine en 1941, Walt Disney en quête de nouvelles sources d’inspiration, rencontre d’ailleurs le peintre… qu’il choisit d’intégrer dans ses équipes créatives ! L’Argentin travaille avec les auteurs du célébrissime Bambi de 1942 – on reconnaît son coup de crayon dans les paysages sylvestres représentés de l’île Victoria sur le lac Nahuel Huapi en Patagonie.
Molina Campos est engagé pour participer à l’élaboration de plusieurs films de Disney. Mais le peintre argentin ne partage finalement pas l’image que se font les studios américains des paysans de la pampa. Il démissionne. A partir de trois métrages effectués en Amérique du Sud, Disney réalisera Saludos Amigos, film sorti en 1942, qui mélange prises de vues réelles et séquences d’animation. Le passage « Gaucho Goofy », avec Dingo en gaucho, doit sans aucun doute beaucoup à l’imaginaire visuel de Molina Campos.
Par la suite, l’artiste, couronné en 1950 de la médaille d’or du salon des dessinateurs argentins, collabore pour les almanachs de la firme nord-américaine de machines agricoles Minneapolis-Moline. Mais, malade, il s’éteint à Buenos Aires en 1959 à l’âge de 68 ans.
Une fondation, dirigée par ses descendants, entretient, notamment à travers un musée à Moreno**, la mémoire de l’homme et de son œuvre, empreinte d’humanisme et de fantaisie et qui apparaît aussi aujourd’hui comme un précieux témoignage sur un monde quasiment révolu.
Pour aller plus loin
http://www.molinacampos.net : le site officiel dédié à l’artiste.
http://www.molinacampos.org : le site de la Fondation Molina Campos.
https://www.flickr.com/photos/molinacamposoficial/sets : en vidéo, une vaste galerie d’images de dessins et de peintures de l’artiste.
https://www.youtube.com/watch?v=finYG9eBt2U : une galerie de dessins et de peintures.
https://www.youtube.com/watch?v=YZbhSQDEKc0 : El gaucho Goofy (1942), séquence de Saludos Amigos, film de Walt Disney sorti en 1942 et inspiré par les œuvres de Molina Campos. Version française.
* http://www.diarioalfil.com.ar/2013/11/15/el-mundo-feliz-de-molina-campos/
**Musée Molina Campos, 364 entre Camilli et l’avenue Victoria, Moreno, province de Buenos Aires. Téléphone : 0237 4635 289. Une centaine d’œuvres y sont présentées.