Astor Piazzolla : pionnier du Tango Nuevo

Par Mélodie Vanesse

 

Surnommé le « Villa-Lobos » argentin, Astor Piazzolla est le musicien de tango le plus important de la seconde moitié du XXe siècle. C’est lui qui, à travers ses compositions, donna ses lettres de noblesse au tango et émancipa le genre en concevant un répertoire nouveau, à mi-chemin entre le populaire et le savant.

 

La naissance d’un génie du tango

Astor Piazzolla est né le 11 mars 1921 à Mar del Plata, un important port de pêche sur la côte argentine, qui deviendra quelques années plus tard une station balnéaire aristocratique prisée.
Fils d’immigrés italiens, il part s’installer avec sa famille à New York en 1924. A l’âge de huit ans, Astor Piazzolla reçoit un bandonéon de la part de son père. Passionné de jazz à l’époque, l’enfant est déçu de ne pas avoir reçu en cadeau un saxophone…

En 1936, la famille retourne s’installer à Mar del Plata. Astor, alors âgé de 15 ans, prend la décision de devenir musicien professionnel après avoir assisté à un concert du violoniste Elvino Vardaro et avoir découvert une nouvelle façon de jouer le tango.
A l’âge de 17 ans, Astor Piazzolla déménage à Buenos Aires où il est engagé dans l’orchestre d’Aníbal Troilo, un célèbre bandonéoniste, compositeur et chef d’orchestre de tango.

Au début des années 1940, l’Argentine est en plein essor. Les difficiles années 30, synonymes de pauvreté et de misère pour le peuple argentin, sont désormais révolues. Les Argentins respirent enfin et veulent faire la fête, danser et s’amuser. Les pistes de danse et les orchestres de tango se multiplient alors à Buenos Aires.

Chaque orchestre joue les mêmes morceaux avec des arrangements totalement différents.
Au début des années 1940, Piazzolla écrit des arrangements et compose. De 1943 à 1948, le bandonéoniste étudie le piano. Sa passion pour la musique classique le pousse à composer ses premières œuvres du genre : Suite pour cordes et harpes et Prélude n°1 pour violon et piano.

En 1944, il quitte l’orchestre de Troilo pour rejoindre Francisco Fiorentino avec qui il jouera jusqu’en 1946. Cette période marque le point de départ de sa créativité musicale. Astor Piazzolla crée alors sa propre « orquesta típica ».

 

Le style unique d’Astor Piazzolla

Avec son propre orchestre, Astor Piazzolla joue ses compositions : des créations modernes qui diffèrent totalement du tango de l’époque.

Petit à petit, il suscite la controverse chez les tangueros traditionnels.
Au début des années 1950, Astor Piazzolla hésite encore et toujours entre le tango et la musique classique. Il choisira cette dernière voie et reprendra ses études musicales classiques.

L’année 1954 marque un tournant dans sa carrière, alors qu’il obtient le premier prix de composition Fabien-Sevitzky ainsi qu’une bourse de la part du gouvernement français.
Il part étudier la composition à Paris où il rencontre Nadia Boulanger, musicienne française, chef d’orchestre, pianiste et grande pédagogue. Oscillant toujours entre la musique classique, le jazz et le tango, Astor Piazzolla se laisse guider par les talents pédagogiques de Nadia Boulanger. C’est elle qui lui donnera l’idée d’utiliser ses racines et la musique populaire pour créer un genre moderne et sophistiqué.

Piazzolla suit les conseils de son professeur à la lettre et renonce à la composition purement classique. L’année suivante, il enregistre certaines de ses compositions avec l’orchestre de l’Opéra de Paris, jouant du bandonéon debout, le pied droit sur un tabouret. Une position qu’il gardera durant la plupart de ses futures représentations.

En 1957, il retourne en Argentine où son travail s’articule autour de deux axes : la modernisation des tangos traditionnels et la composition d’œuvres destinées aux bandonéons et aux cordes. Il crée deux orchestres dont l’Octeto de Buenos Aires avec lequel il enregistre deux disques qui déclencheront de vives critiques. Ses détracteurs dénoncent une musique s’éloignant beaucoup trop du tango traditionnel. Il faut dire que le style de Piazzolla est difficile à définir. Impossible à classer dans un genre particulier, sa musique est une véritable synthèse des différentes périodes artistiques et sources d’inspiration du musicien. Après une expérience peu concluante à New-York à la fin des années 1950 durant laquelle Piazzolla s’essaie au tango-jazz, il retourne à Buenos Aires en 1960 où il forme le Quinteto Nuevo Tango.

 

Vers un nouveau tango

Les dix années qui suivent la création du Quinteto Nuevo Tango constituent la majorité de l’œuvre d’Astor Piazzolla avec des compositions aussi connues que Decarissimo ou Seria del Angel.

La musique du fabuleux interprète et musicien se détache du tango populaire et c’est une véritable révolution personnelle qui naît en lui. L’artiste cherche par tous les moyens à associer la musique sophistiquée et moderne au tango en mettant sa technique au service de sa passion.

En 1970, Piazzolla intègre la batterie à ses compositions. Il enregistre deux nouveaux disques avec son nouvel ensemble Nonetto. C’est en 1974 que sera enregistré le célèbre Libertango.
Toujours en 1974, on voit pour la première fois apparaître l’orgue dans ses compositions. Ses concerts se font de plus en plus nombreux aussi bien en Amérique du Sud qu’en Europe. Celui qu’il donne en première partie de Georges Moustaki à l’Olympia de Paris en 1977 est un véritable succès.

A la fin des années 70, Astor Piazzolla forme le Quinteto Tango Nuevo (seconde époque) avec lequel il connaît un immense succès et accède à la notoriété internationale.

En 1983, il retourne en Argentine où son succès lui permet d’être reconnu et bien accueilli. Il est ensuite récompensé aux Césars parisiens pour sa musique dans le film « Tangos – el exilio de Gardel » puis poursuit son ascension grâce à une longue série de concerts importants en France, aux États-Unis, en Suisse, au Japon, etc.

En 1989, Piazzolla crée une nouvelle et dernière formation musicale : le Sexteto. Il incorpore à son orchestre un violoncelle ainsi qu’un second bandonéon et joue de la musique contemporaine. En 1990, il donne son dernier concert à Athènes avant de décéder à Buenos Aires en 1992.

 

Astor Piazzolla ou la révolution du tango

Astor Piazzolla laisse derrière lui un nombre considérable de compositions et d’enregistrements précieux. Sa musique, qualifiée par l’artiste lui-même comme un tango libéré et nouveau, représente le tango d’avant-garde qui continue d’influencer les meilleurs musiciens du monde entier, toutes générations confondues. Les Argentins gardent aujourd’hui en mémoire un artiste qui a su bouleverser tous les codes du tango traditionnel en y intégrant différentes inspirations.

On peut aujourd’hui analyser la musique de Piazzolla en distinguant deux périodes différentes : la période d’avant 1954, celle d’un tango traditionnel modernisé par des arrangements novateurs, et la période d’après 1954 qui porte le cachet d’un tango largement influencé par le jazz et la musique classique, le tout harmonieusement agencé.

Avec des œuvres révolutionnaires à l’instar d’Adios Nonino ou de Balada para un Loco, Astor Piazzolla a totalement modifié la direction du tango instrumental. C’est d’ailleurs lui qui permit de hisser le tango au rang des musiques cultes au même titre que le jazz.